THILDANIA épisode 8

Publié par Catherine Barcelonne sur 21 Janvier 2019, 14:58pm

Cai regarda son neveu avec tendresse, émue jusqu’aux larmes de ce contact dont elle avait fait son deuil depuis longtemps. Soudain elle leva les yeux. Très haut dans le ciel un corbeau planait au-dessus du groupe. Il amorça une descente en spirale et vint se poser au pied de la magicienne en croassant.

La scène changea instantanément et les marécages firent à nouveau leur apparition, accompagnés de l’odeur putride et des chuintements inquiétants. Les jeunes hommes se redressèrent tous sens en alerte. Mais Cai les rassura.

— Pas de panique. Je vous présente Actus, mon ami volatile qui fait également office d’alarme. Mes terres sont visitées, c’est pour cette raison que j’ai rétabli le décor approprié.

Tendant l’oreille, le prince et son compagnon perçurent effectivement des bruits de conversations, quelque peu étouffés par la distance et la brume. Maintenant que le sortilège était levé, ils distinguaient les marais comme à travers un voile. Les intrus se rapprochaient et à présent leurs paroles devenaient compréhensibles.

— Et mon cheval qui est mort. Comment rentrerai-je si jamais on sort de ces cloaques ?

Eggi lança un regard sévère à la magicienne, qui, haussant les épaules s’expliqua dans un murmure.

— Je sais mon tour un peu redondant, mais voir sa monture périr dans d’atroces souffrances en a découragé plus d’un à pénétrer plus avant !

Agus se concentrait sur la discussion pour connaître les intentions des nouveaux venus.

— Arrête de te lamenter comme une fillette ! Notre mission est cruciale pour Thildania. Si nous ne retrouvons pas Sa Majesté, s’en est fini de nous tous !

Peu de temps après les soldats sortirent de l’écran nébuleux et le prince reconnu les couleurs de son royaume. Lorsque les hommes le virent à leur tour, ils se précipitèrent et s’agenouillèrent devant lui. Le capitaine prit la parole.

— Sire, Sa Majesté Boran est morte peu après votre départ. L’ultime mission qu’il nous a confiée fut de vous trouver et de vous délivrer ce message “le mal est ici”. Majesté, vous êtes à présent le nouveau seigneur de Thildania.

Sous le choc de cette révélation, le jeune souverain blêmit. Il avait certes quitté son père fatigué, mais jamais il n’aurait pensé qu’il succomberait.

— Relevez-vous et racontez-moi tout ce que vous savez.

Le chef s’exécuta.

— Le surlendemain de votre départ, Sa Majesté a commencé à se plaindre de douleur au ventre, puis son bras gauche s’est paralysé. Votre sœur n’a cessé de le veiller tout au long de son agonie. Il souffrait beaucoup, mais restait lucide. Sa plus grande inquiétude résidait à laisser le royaume sans souverain. Il nous a donc assigné la mission prioritaire de vous retrouver. À présent, nous entrevoyons une lueur d’espoir.

Eggi, à son habitude ne disait mot, mais observait. Il s'aperçut que les soldats ne détectaient pas la présence de la magicienne. Il lui lança un regard interrogateur, et en guise de réponse, Cai mit un doigt sur ses lèvres, signifiant ainsi qu’elle désirait demeurer invisible.

Agus ne pouvait se permettre de laisser cours à sa peine. Il aimait son père, même si le roi avait toujours gardé une froide distance entre lui et sa descendance. Il savait que dès que le vieux souverain posait les yeux sur ses enfants, ses pensées se tournaient vers son amour perdu et que la souffrance refaisait surface inexorablement. Pour cela, il avait continuellement tenté d’éloigner son fils qui avait parcouru bien des contrées afin de soi-disant s’instruire. La manœuvre avait porté ses fruits puisqu’Agus avait tissé de nombreuses relations et acquis maintes compétences militaires et de combats. Quant à Darunee, portrait de sa mère, elle fut ballotée de nourrice en précepteur sans connaître réellement son géniteur.

Quand il prit la parole, Agus avait endossé son nouveau rôle, et c’est d’une voix assurée et déterminée qu’il donna ses premiers ordres.

— Je vous remercie d’avoir bravé au péril de votre vie ces infects marais. Rentrez au plus vite au palais pour annoncer mon prompt retour. Je vous suivrai de très près, mais il me reste un détail à régler.

Lorsque les soldats furent éloignés, le jeune souverain se tourna vers sa tante.

— Je te délivre de la sentence de bannissement. Mieux vaut que pour l’instant tu demeures invisible aux yeux du peuple qui a appris à te craindre et à te haïr. Tu nous accompagneras donc discrètement et sur place nous vaincrons ce mal qui ronge depuis trop longtemps Thildania. Je suis toujours persuadé que l’invasion et cette présence démoniaque sont liées. Dès que tu m’auras donné les mots, nous partirons, car je m’inquiète pour la sécurité de ma sœur.

Ainsi, le nouveau roi galopa vers son destin, suivi de son nain de conseiller et d’une femme d’un certain âge vêtue d’une bure anis. Avec une joie indescriptible, Eggi retrouva sa Rosy qui broutait paisiblement l’herbe grasse que Cai avait fait pousser. La jument porta sans mal la magicienne et le petit homme. Ils chevauchèrent à bonne vitesse jusqu’au palais, ne s’arrêtant que pour donner un peu de repos aux montures.

Le bruit de leur retour se répandait à grande vitesse, le capitaine et sa troupe étant sans doute à son origine. Sur le bord de la route, le peuple acclamait son nouveau souverain. L’espoir renaissait partout où la nouvelle arrivait. La magicienne, tout en restant dissimulée aux regards grâce à un sort mineur, s’abreuvait des exclamations de joie et de ces bains de foule. Si longtemps seule, exclue et rejetée, aujourd’hui elle renouait avec l’humanité.